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Publié par Gérard Glatt

assise-devant-la-mer.jpgLorsque nous nous voyions, Pierre Silvain et moi, nous déjeunions toujours dans ce restaurant qui fait l'angle de la rue de Rome et de la rue de l'Isly. En général, j'étais en retard. Je pense qu'il m'en excusait. Mais un retard de seulement quelques minutes, juste le temps pour moi d'être assuré qu'il avait pu s'installer à la table de son choix, non à celle que je lui aurais imposée en arrivant avant lui et qui, peut-être, ne lui aurait pas convenu. Les premières fois que nous nous rencontrions, place Colette, cela remonte à maintenant près de quarante ans, il en était déjà ainsi.

 

Après " Julien Letrouvé, colporteur ", Pierre Silvain nous a proposé " Assise devant la mer ". Je devrais dire : nous a offert, mais sans que nous le méritions vraiment. Pourquoi ? Parce que nous ne le lisions pas assez. Ce n'est pas moi qui le dit : c'est ce que j'entends encore, et lis un peu partout, que je prends à mon compte et n'ai nulle peine à considérer comme vrai.

 

" Assise devant la mer ", le titre aussi de quelque tableau célèbre qu'on imaginerait être de Flandrin ou de Magritte ; mais surtout, pour aujourd'hui, l'étonnant récit que nous fait cet écrivain, d'âge avancé, qui, enfant, s'endort dans les bras de sa mère et se réveille quelque trente cinq années après que celle-ci a disparu.

 

Souvent, Pierre Silvain m'a décrit ce tableau qu'il avait à l'esprit et que l'on retrouve dès les premières lignes de son ouvrage : " Là où depuis un moment elle se tient assise, face à l'océan, une vague plus forte de la marée montante déferle sans violence, l'entoure puis la dépasse, pour s'étaler et mourir derrière elle sur le sable que barre comme un trait d'écume pétrifiée un dépôt de coquilles blanches. Leur crissement, s'il arrive que le flux les atteigne, ne la fait pas se retourner, elle demeure les yeux fixés sur le large, sur le lointain, sur rien qui soit visible à l'enfant assis lui aussi, en retrait, au-delà des coquilles... "

 

En les relisant, ces quelques lignes, j'ai le sentiment d'être cet enfant, cet enfant que j'aurais pu être, d'entendre le crissement des coquillages, qui me fait mal un peu, parce que je suis seul, désespérément, comme Pierre Silvain sur ce rivage atlantique, et cela m'attriste, me rappelle ces discussions que nous avions à cette table fameuse, tandis que chacun de son côté, chacun à sa façon, lui à près de quatre vingts ans et moi à un peu plus de soixante, nous écrivions le même livre : une mère est partie, qui nous a laissé, mais que l'on retrouve bientôt et ne nous quitte plus.

 

Pierre Silvain me posait des questions, il voulait savoir, savoir pourquoi j'utilisais tel procédé plutôt que tel autre, il n'était pas certain que j'aie raison, n'était pas certain de vraiment comprendre mon projet. Et puis, finalement, le livre lui a plu. " Une poupée dans un fauteuil " est sortie. C'était mon titre à moi. Quelques mois plus tard, enfin, j'ai pu voir cette belle couverture jaune, en vitrine, aux Cahiers de Colette, la librairie de la rue Rambuteau : " Assise devant la mer ". Il me semble que j'en ai tremblé de joie.

 

A quelques semaines de là, j'avais écrit à Pierre Silvain que ce livre, " Assise devant la mer ", serait sans doute son roman, je veux dire : le roman de sa vie. " La scène de la plage de nouveau distincte se poursuit dans le rêve un instant interrompu. L'enfant se terre toujours dans son creux, la mère continue de regarder plus loin que l'horizon ce qu'elle est seule à voir, des vaguelettes viennent mourir devant elle dans un pétillement d'écume... " Comme les vaguelettes, aussi léger, à peine palpable, à son tour, Pierre Silvain est venu mourir. C'était en octobre dernier, déjà sept mois... Nous lui devons de le lire ou de le découvrir enfin.

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