8 rue Raoul Berton, de Laurent Dugué (L'Echappée Belle Edition - 2019)
Je me souviens d’avoir dîner en compagnie de Laurent Dugué. C’était un soir, chez sa future éditrice, Florence Issac. Tout près de Paris. Un saut de puce une fois passé le périphérique. L’homme était agréable, rond, la cinquantaine. Les yeux rieurs. Une courte barbe lui couvrait le menton et le tour des lèvres. Florence Issac avait-elle déjà pris sa décision ?J’imagine qu’elle devait encore hésiter, mais n’en suis pas certain. Toujours est-il qu’un jour, sous une première de couverture solaire, le 8 rue Raoul Berton m’est arrivé entre les mains.
Curieux, j’ai tout de suite été tenté par la quatrième de couverture. Un extrait du livre m’était proposé. J’ai craint qu’il n’altère l’intérêt que je portais déjà à l’ouvrage. Alors, j’ai ouvert le rabat de la première. Voici ce qu’il me disait : « Laurent Dugué est né en 1964 à Montreuil. Il est chirurgien dans un hôpital du Val de Marne. Pour raconter à sa femme et à leurs trois enfants, sa jeunesse à Bagnolet, il a troqué, pour un temps, son bistouri pour un stylo, délaissant les maux pour les mots. Cette petite histoire familiale avec ses drames et ses joies, est aussi une photographie de la vie d’un quartier commerçant de la banlieue rouge des années 70. »
Sans plus tarder, j’ai entrepris la lecture de cette petite histoire, sautant allégrement la préface qui m’était proposée – que son auteure me pardonne. Et j’ai lu : « Nicole, la patronne de l’hôtel, me demande si je veux lui dire au revoir. Je réponds oui. Je la découvre allongée. Seule sa tête est visible. « Elle dort, mon petit. » Je l’embrasse sur le front. Sa peau est très froide, je ne m’y attendais pas. Je n’aurais peut-être pas dû dire oui. » La mère du petit est morte. Le petit, c’est Laurent. Sa mère s’est noyée dans l’Isle, un affluent de la Dordogne. Victime d’une hydrocution. C’était au mois d’août 1975. Laurent n’avait que onze ans.
Alors, bien des années plus tard, dans l’idée de Laurent, le Laurent qui a grandi, devenu Laurent Dugué, le chirurgien, celui qui écrit, il y aura un jour le temps d’avant, et puis le temps d’après, l’un et l’autre que l’on sent toujours aussi douloureux, un manque qui ne s’effacera jamais. Au début, c’est le temps d’avant, il y a la Charcuterie de la Mairie, à Bagnolet. Pourquoi une charcuterie ? Parce que chez les Dugué, on était charcutiers de père en fils. Il y a la mère qui note au blanc d’Espagne, sur la vitrine, le plat du jour. Il y a l’oncle, il y a la tante. Il y a la marchandise à vendre qu’on présente avec amour. Le laboratoire, le domaine du père, là où l’on prépare les douceurs salées et sucrées. Tout un monde qui s’anime, tourbillonne autour du gamin, et sa grande sœur Claire, et plus tard, Eric, le frangin. Et puis il y a André, le boulanger de la rue Berton. Le meilleur ami du père. Et bon nombre de personnages encore, sans compter le foot, ah ! le foot, oui, le foot… Et les vacances, au mois d’août, les quatre semaines de fermeture. C’est la vie à Bagnolet, la vie où l’on pleure, mais où l’on rit plus souvent encore, jusqu’à ce jour d’après…
Tout est pudeur, chez Laurent Dugué. Les sentiments, l’écriture. Sans afféterie aucune. Sans pathos. Il nous prend par la main, par les yeux, par le cœur, tout simplement, comme en promenade, et dans sa compagnie nous nous sentons à l’aise, comme au coin du feu. Laurent Dugué est un conteur, sa tristesse enjouée – cela existe, c’est ainsi – nous emporte presque malgré nous. Et nous ne regrettons rien une fois lue la dernière phrase. Si ce n’est d’être arrivée trop rapidement jusqu’à elle.