Seule Venise, de Claudie Gallay (J'ai Lu)
Passer quelques jours à Venise, quel que soit le temps, ce n'est pas seulement se perdre de vue, effacer le réel, ce quotidien que le sommeil d'une nuit, tourmenté ou non, parvient à peine à digérer ; c'est bien plutôt s'inscrire en elle, se fondre, disparaître, pour, bientôt, ne plus être, comme elle, qu'un songe. Comme une âme, de toute éternité, dissoute, que l'on ne percevrait plus qu'en transparence.
Cette année, une fois n'est pas coutume, j'avais décidé d'emporter un livre avec moi. Mais pas n'importe quel livre, ni un guide, je n'en ai plus besoin depuis longtemps, ni ce Paul Morand que j'ai lu et relu, ni cette " Sérénissime " de Frédéric Vitoux que l'on m'a dérobée, mais que j'ai tant relue et avec tant de bonheur, ni bien d'autres encore, lus eux aussi, hélas ! plus ou moins savants ou pédants, aujourd'hui devenus semblables aux bajoues plombées de leurs auteurs, douloureusement déliquescents.
Tout simplement, je me suis muni de ce petit Claudie Gallay : " Seule Venise ", découvert par hasard, et au bon moment, au rayon librairie du Monoprix le plus proche de chez moi. Claudie Gallay, je connaissais, c'est évident. Qui n'a pas subi de plein de fouet la déferlante des " Déferlantes " ? En revanche, je n'avais encore rien lu de cette auteur. Pas même ces fameuses " Déferlantes " dont une adaptation télévisée m'avait à tout jamais éloigné.
Je l'avoue, j'ai eu beaucoup de plaisir à lire " Seule Venise ". Même s'il ne m'a rien appris sur Venise. Mais ce n'était pas là non plus le but de mon achat. Je dis : Je l'avoue ; parce que oui, j'avais quelques réticences. On sait trop ce que sont les succès d'aujourd'hui. Les résultats savants de catapultages non moins savamment dirigés où la littérature n'est plus que l'ersatz d'elle-même. Beaucoup de plaisir, donc, et même trop de hâte. Ce que Claudie Gallay doit à son style, tout d'abord, dont le fluidité, y compris pour ceux qui, comme moi, éprouvent un penchant certain pour la phrase un peu longue mais joliment ponctuée. Ici, au contraire, la phrase est courte. Parfois dépourvue de verbe et, à plus forte raison, de compléments. Le mot est simple. Comme, apparemment, la pensée. Et, du coup, on se laisse avoir avec bonheur ; et c'est avec autant de bonheur qu'on se glisse dans l'histoire de cette femme de quarante ans qui quitte tout, vend tout, pour aboutir à Venise, quartier du Castello, dans la pension que tient Luigi.
Là, notre héroïne apprend à connaître un aristocrate russe en fauteuil roulant ; un couple de jeunes gens, elle est danseuse, lui est son amant, un couple tout neuf, mais qui ressemble déjà à ces façades en ruines qu'on découvre au détour d'un rio ; et puis il y a ce libraire, véritable amoureux des livres, de l'encre qui leur donne corps au fil des pages, un homme réservé, mystérieux, attirant, inquiétant presque... Et puis encore, et puis encore, ce Luigi qui attend, qui espère, qui espère qui ? ou quoi ? à s'en désespérer... Car, oui, Claudie Gallay nous donne là, avec presque rien, mais quel doigté, le roman de la blessure, de cette blessure dont on ne guérit jamais ou rarement, dont les lèvres, constamment attaquées par le sel, comme cette Venise sublime, sans vraies couleurs, où les ocres sont passés, les rouges décolorés, ne se referment pas.
Voilà, c'est tout. Je suis content d'avoir dit quelques mots de " Seule Venise ", et de Claudie Gallay que j'ai maintenant située au milieu de mes bonnes intentions. Seule Venise, au coeur de l'hiver, bien sûr...
Ce jour même, à cette heure.