Les Indécents : Blanc, Anelka, Boutin et les autres.
De quoi est-il question ? Du dernier roman de Gémael Lapotre, bien sûr. " Les Indécents ", publié aux Editions de La Houle. Un bien beau titre, du reste. Mais également la première de couverture de l'hebdomadaire Le Point paru cette semaine. Je recommande les deux, le roman et la lecture du Point, tout en ayant un faible, je l'avoue, pour le roman.
C'est sans doute parce que je me retrouve assez dans le personnage central, pas vraiment un héros, de Gémael Lapotre. Un avocat taciturne, un peu vieux jeu, probablement retraité, qui ne comprend plus rien, mais alors vraiment rien à l'air du temps.
Comme lui, j'ai parfois le sentiment de me mêler de ce qui ne me concerne pas. Je fulmine contre Christian et ses cigares, contre Nicolas, le teigneux, Christine, la cumularde, Daniel, le boutonneux, qui tous, selon moi, pourraient ou devraient agir autrement qu'ils ne le font. Ne serait-ce que pour donner l'exemple. Je tempête aussi contre la grossiéreté des uns et des autres : ces petites phrases qui fusent ici et là, comme des bouquets d'artifice, que l'on pardonne au Maître des lieux mais qui accablent le manant s'il ose jamais s'exprimer en des termes semblables. Oui, je me sens un peu comme cet avocat révolté qui décide un jour de réformer tout ça.
Il est bien conscient, c'est évident, que ces futilités de pauvres riches, pauvres en esprit, finalement devraient l'indifférer. Mais non, c'est plus fort que lui, il se fait du mal, un mal affreux, si douloureux qu'il en est empêché de réfléchir posément, comme il conviendrait. Il ressasse mille et une solutions aussi improbables qu'impossibles, se dit vraiment qu'il faudrait en finir, en finir une fois pour toutes. Mais que faire pour en arriver là ?
Au début, pas fou, il ne dit rien de ses intentions : car il n'a pas encore de véritable projet. Personne ne sait ni ne se doute qu'il va bientôt agir, pas même lui, se saisir du problème comme l'artiste, le ciseau à la main, attaque son bloc de marbre. On se moque de lui, de son enfermement. Ira-t-il jusqu'à en perdre le goût du boire et du manger ?
C'est étonnant comme ce personnage me ressemble. Moi-même, je ne dis rien. Parce que, dans mon idée, comme dans la sienne, d'autres que moi, plus compétents pour l'instant, sont là pour réagir à ma place. Entretenir les braises. Ce qu'ils font d'ailleurs, et fort bien. Je pense à quelques éditorialistes, à des philosophes, plus généralement aux hommes de savoir. Aussi, je les écoute avec attention et, bientôt, persuadé qu'ils ont raison, ce qui me paraît être d'une imparable logique, puisqu'ils rejoignent mon avis, je me dis qu'enfin, grâce à eux, quelque chose va changer. Et qu'enfin, je vais pouvoir retrouver la paix, cette paix qui me fait tant défaut aujourd'hui.
Mais quelle erreur ! Quelle erreur n'est pas la mienne à ce moment ! Car, en face, il n'y a que des sourds ! Que des gens qui n'entendent rien, ne comprennent rien ou ne veulent pas comprendre que des révolutions, il peut en exister encore.
Ô impardonnable oubli ! Inconséquence funeste de l'état de puissance dont jouissent " Les Indécents ", sans en considérer les faiblesses ! rumine alors, avec délectation, notre vieil avocat. Parce que d'autres, pourtant, continue-t-il à se dire, ont payé cher de telles erreurs, parfois même de leur vie.
C'est ainsi que, naturellement ou presque, emporté par une sainte et géniale fulgurance, il imagine que la fameuse loi Badinter supprimant la peine capitale pourrait être utilement révisée ces prochains temps, en vue du rétablissement de celle-ci à l'encontre des seuls gouvernants et dirigeants politiques, grands financiers et autres dirigeants de multinationales, sans omettre quelques sportifs, dès lors que l'indécence de leur comportement serait avérée.
Peut-être qu'alors, imagine encore notre avocat, qui se verrait bien magistrat du siège, cette loi ainsi modifiée, suprême épée de Damoclès, suffirait à mettre un peu plus de plomb dans la cervelle de tous ces gens.
Dans l'intérêt des lecteurs, je passe sur les péripéties aussi endiablées que joyeuses dont l'auteur truffe son ouvrage, de même que sur la truculence de ses personnages, tous aussi savoureux les uns que les autres. Un vrai bonheur. A lire toute affaire cessante.