Publié par Gérard Glatt

l-horizon-modiano.jpgParler du dernier roman de Patrick Modiano, peut-être me dira-t-on que c'est allé au devant du succès, mais n'importe, je cours le risque pourtant. Je cours le risque, parce que Patrick Modiano ne doit son succès qu'à son talent d'écrivain. Ni star ni repris de justice, ni joueur de foot-ball ni homme politique, seulement écrivain, et, pour moi, rien d'autre que cela. Or un écrivain, un véritable écrivain, un écrivain dont la renommée ne vaut, précisément, que par son talent, est en soi suffisamment rare pour qu'on y prête un peu plus que de l'attention.

 

Et puis j'ai aussi envie de me faire plaisir et d'évoquer Françoise Sagan. Pourquoi Françoise Sagan ? Parce qu'elle aussi, elle entretenait sa petite musique, cette musique des mots qui donne envie, comme le bon vin dans un tout autre genre, d'en reprendre un peu lorsque la dernière page a été tournée. Comme un air de regret, ou de soudaine solitude.

 

Tous les romans de Françoise Sagan m'ont fait cette impression. Sans doute, son univers était bien différent de celui de Patrick Modiano : jeunes filles issues de parents aisés, un peu enfants gâtées, oiselles que l'oisiveté ou le manque d'expérience fragilisent ; jeunes gens superbes, bellâtres adorés, dorés à l'or pur, aux blessures anodines, mais profondes pourtant, pour eux qui n'ont jamais connu la faim, etc.

 

Chez Patrick Modiano, rien de semblable. On ne fait pas dans le bling-bling des années 50-60, ni dans la désillusion, ni dans le romantisme sucré salé. Au contraire, l'atmosphère est lourde, les esprits parfois embrouillés, travaillés, torturés par un passé historiquement situé, souvent tragique. La guerre, la dernière, est là, presque toujours, ou l'après guerre. Ou si ce n'est-elle, c'est l'atmosphère qu'on imagine d'un Paris occupé, ou tout juste sorti de cette période dont il ne saurait si aisément se défaire. Non, rien de semblable, mais cette fameuse petite musique qui fait que, même lus à voix basse, les mots s'entendent derrière nos yeux comme des mélodies de rêves, intemporelles.

 

Le nouveau roman de Patrick Modiano n'échappe pas, et c'est tant mieux, à cette intemporalité. Un certain Bosmans est à la recherche de son passé, un passé qu'il tente de reconstruire, comme cette époque, par exemple, où il était employé dans une librairie et où il venait de rencontrer cette jeune femme, une certaine Margaret Le Coz. Une femme étrange tout de même, née par hasard à Berlin, un lieu de naissance qui semble poser problème. Margaret Le Coz et Bosmans se sont aimés, puis ils se sont quittés, disons qu'elle a disparu. Il faut dire que rien n'était facile avec elle. Bosmans se rappelle les relations ambigues qu'elle entretenait avec ses employeurs : des avocats dont elle gardait les enfants, mais pas seulement. Et puis il y a surtout cet homme, un dénommé Boyaval, qui la suit partout, qu'elle a dû éconduire une fois, un individu pas très net, ténébreux fil d'Ariane, qui vit dans l'ombre du monde, qu'elle retrouve toujours sur sa route, comme une menace qui ne voudrait pas dire son nom...

 

Ici, comme souvent, on se dit tout au long de notre lecture que Paris n'existe jamais que sous la pluie, ne vit que dans la nuit ou la grisaille du temps. Pourtant, ce n'est pas vrai, ce n'est que le sentiment qui nous habite, car il y a bien de la joie, parfois, du bonheur. Mais, non, c'est ainsi, c'est du Patrick Modiano, c'est " L'Horizon " et c'est très bien ainsi : de cette grisaille, je ne me lasse pas.

 

Comme je ne me suis jamais lassé de Françoise Sagan, moins encore de son art.

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