Pierre Gamarra
Pierre Gamarra est décédé le 20 mai 2009.
Lorsque je rencontre Pierre Gamarra pour la première fois, c'est en 1978. Peu de temps auparavant, j'avais fait la connaissance de Charles Dobzynski à Villeneuve d'Ascq, à l'occasion du Salon du Livre, le premier, je crois, organisé par cette ville.
Charles Dobzynski était alors rédacteur en chef de la Revue Europe, la revue fondée par Romain Rolland, dont le siège était à Paris, non loin de la Comédie Française.
Je venais de publier mon premier roman, Holçarté, chez Calmann Lévy. Et Charles Dobzynski, gentiment, m'avait proposé de passer le voir, si j'en avais envie, afin de discuter plus avant de mes projets littéraires. Bien sûr, malgré ma timidité, j'avais pris rendez-vous et, le jour dit, je m'étais présenté à lui.
Vaste escalier, volée de marches superbes, si j'ai bonne mémoire la hauteur sous plafond devait atteindre les quatre mètres. Les bureaux d'Europe, au 21 rue de Richelieu, qui abritaient également Les Editeurs Français Réunis, étaient cependant les plus simples qui soit. Charles Dobzynski m'y reçut avec cette courtoisie qui lui est naturelle. Il me présenta à Pierre Gamarra, assis non loin de lui, derrière son bureau. Un peu ours d'allure, je veux dire dans la silhouette, mais tout de suite d'une finesse extrême dans le propos.
Une heure ou deux plus tard, je suis reparti comblé. Charles Dobzynski et Pierre Gamarra me faisaient confiance : ils voulaient bien que je leur adresse quelques notes de lecture. Ils les publieraient dans Europe.
Par la suite, je les ai revus assez souvent, jusqu'à ce qu'ils s'installent rue du faubourg Poissonnière, dans un espace plus conforme sans doute, mais qui les éloignait de mon environnement. Et puis, la vie est ce qu'elle est, qui impose parfois de tourner le dos aux aspirations les plus chères.
J'ai pourtant conservé le meilleur souvenir de Pierre Gamarra. Je pense que son " Maître d'école " y est pour quelque chose. Il est toujours avec moi, dans sa petite édition des EFR. Comme " La femme de Simon ", du reste.
" Jamais Simon Sermet n'avait oublié ce jour de juin 1905. Sa mémoire en avait gardé chaque minute avec une fidélité admirable. Tout était là, tout était resté. Depuis les chants des coqs à l'aube grise jusqu'à l'orage de la nuit, jusqu'au délicieux sommeil qui l'avait emporté enfin, tandis que la pluie battait aux volets de sa maison natale, la merveilleuse journée vivait et revivait dans son coeur, intacte, lourde et brillante comme un fruit.
Plus tard, quand on lui parlait de bonheur et d'espérance, il pensait à ce jour-là. Il revoyait la route du matin, la brume de chaleur sur les champs de maïs. Il entendait claquer le fouet de son père. Et tout à coup, le sang battait à ses tempes comme en cette fin d'après-midi où M. l'Inspecteur primaire s'était avancé, une liste à la main, sur le perron d'entrée d'une école de canton.
Simon était debout, près de son père, dans la foule des parents et des élèves qui attendaient la proclamation des résultats. Un bourdonnement un peu craintif emplissait la cour. Les enfants n'osaient plus courir. L'ultime instant approchait... "
(extrait du roman de Pierre Gamarra, Le maître d'école, aux éditions De Borée)