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Publié par Gérard Glatt

Debout-pres-mer-A-de-Vial.jpgLe dernier roman d'Antoine de Vial, " Debout près de la mer ", m'a souvent fait penser à " Givre et Sang ", de l'écrivain John Cowper Powys. Non pas que les personnages ou le sujet lui-même en soient si proches, mais simplement par la musique des mots : comme une voix d'une étonnante douceur, à la fois claire et subtilement, tendrement timbrée, qui nous viendrait de l'intérieur, du fond des temps. A vrai dire, je ne sais plus rien aujourd'hui du livre de John Cowper Powys, il y a si longtemps que je l'ai lu, et cela n'a pas d'importance. Mais je sais que s'il m'était donné aujourd'hui de le relire, je l'ouvrirais aussitôt et, sans doute, pour ne plus le quitter, jusqu'à la fin. J'imagine que dans dix ou vingt ans, si je devais vieillir d'autant, il en serait de même de " Debout près de la mer ". Je l'ouvrirais, et, dès les premières lignes, je reconnaîtrais cette voix, celle de Andy, la voix d'un homme âgé, usé par la maladie, une voix remplie d'amour. Ou d'amours, au pluriel, devrais-je plutôt écrire.

 

Antoine de Vial, prêtre et poète, nous dit-on. On ne peut guère en douter. Car les amours dont il est ici question, sont nobles et pures, même lorsque les passions, parfois, ne le sont plus vraiment, et remplies de cette nostalgie qui, au contraire du regret, nous engage à vivre. Andy a-t-il jamais assez dit à son fils Ben, à qui ce livre s'adresse : un journal au fil du temps, combien il a pu l'aimer ? A-t-il jamais assez dit à Daisy, sa tendresse, et son remords de lui avoir fait du mal ? Et partager avec elle la douleur de leur enfant disparue si vite, Emily, une irréparable blessure ? On pourrait craindre le pathos, l'emphase affectée, mais le talent de l'auteur est là, qui veille à chaque instant et retient la plume lorsque la rive est proche qui nous conduirait aux larmes inutiles. Toujours cette petite voix, cette voix douce, remplie de sagesse. Ecoutons-là un instant : " C'était dur d'évoquer Emily : pour moi, elle n'était pas morte ; à chaque coup de vent, elle poussait ma porte, elle posait ses doigts sur la poignée, elle ouvrait, elle dansait... "

 

Comme disparaissent les êtres les plus chers, les jours meurent également, et les traces du temps s'estompent sous l'usure. Au nord de deux mondes, l'un au cap Hatteras, en Caroline du Nord, l'autre en Virginie, deux mondes vieillissants que menacent les ruines, New-York s'épanouit et, avec elle, entre les rives de l'Hudson et celles de l'East River, une génération nouvelle : celle qu'Andy, l'avocat de renom, et Daisy, la styliste, construisent à leur façon, non sans réussite, mais non sans douleur. D'un côté, une famille de pêcheurs, celle de Andy, de l'autre, Daisy Harker, de la famille Harker, anciens colons au caractère " armé de vertus et non dénué de férocité. " L'une et l'autre disparaissent, mais n'est-ce pas aussi la mémoire de l'histoire, de notre Histoire, qui tend à s'effacer ainsi, malgré nous ?

 

Est-ce contre cet effacement que lutte Andy ? Contre la disparition de ces personnages de légende qu'il se fabrique et nous livre comme autant de présents : Maman-Bohème, Vieux Jarvis, le docteur Mellon, les désordres d'une certaine Sonia, Jimmy Diehl et son assassinat, Olga, la perverse, et bien d'autres encore qui sont à découvrir et à n'oublier jamais ? Est-ce contre la mort, tout simplement, que lutte Antoine de Vial en nous disant, comme à Ben, à sa façon : " Souviens-toi... " ? Parce que rien n'est pire que l'oubli...

 

Mais écoutons encore une fois : " Daisy gémissait. La maison luttait contre la tourmente et l'on entendait le craquement des rouleaux fouettés par la marée montante. Je tombai dans un mauvais sommeil. " Ce mauvais sommeil que refuse superbement Antoine de Vial, dans une saga des plus authentiques.

 

Cet article a été publié dans le numéro 988-989 de la Revue EUROPE (août-septembre 2011)

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